mardi 6 juillet 2010

Je me casse de chez vous!!!

Vivre chez ses parents à 40 ans peut sembler banal, voire évident dans notre société et tout naturellement fatal quand on est née dans le sexe faible. Car au Maroc, tant que tu n’es pas casée, tu es traitée en être jeune, irresponsable et potentielle source à problèmes, ben voyons !
Pas étonnant en un sens. Une société à la sexualité refoulée ne peut qu’associer liberté à débauche. Je me suis longtemps demandé, comme tout le monde je suppose, pour quelle raison l’homme échappait à ces restrictions. Je suis partie dans toute une analyse à la noix que j’ai dissoute dans un bol de hrira un jour de grosse déprime. Mais ça, j’en ferai un autre billet.
En parlant de restrictions, je pense en ce moment à la liberté de vivre seule, au bled. J’ai passé la nuit à imaginer la scène où je leur dirai que je vivrai seule. Ma mère me regardera avec dédain comme si j’avais dit une énième bêtise qui ne ferait que renforcer le manque d’estime qu’elle a pour moi.
Parce que le manque d’estime est quasi indissociable du statut de vieille célibataire : vieille fille c’est certainement une invention féminine, seule une femme peut et sait blesser une autre femme !
Passés les « Meskina » et les « llah ydir li fiha lkhir », on se retourne pour se délecter du petit confort de sa petite vie de famille (même si pas confortable pour un sou) en remerciant le tout puissant de nous avoir évité cette poisse. Non pas poisse… ce n’est même pas pris pour une malédiction mais pour une incompétence, un échec, une incapacité à attirer, à séduire, à donner envie à un homme de faire sa vie avec toi. Même si c’est toi qui refuse l’homme, tu seras toujours la bête en attente d’un maître. Et tu finis par devenir une vieille bête errante parce que personne n’adopte de vieux chiens.
Misanthrope comme je peux être, je me fous pas mal des autres. Je ne les fréquente pas. Mais lire ça sur les visages de ma mère et mon père me détruit chaque jour un peu plus. Mon jeune, très jeune, frère Jaouad, marié il y a déjà 5 ans, me cherche en permanence un parti prenable parmi ses ouvriers et ses subalternes. Un gars de son, ou de mon niveau c’est juste impensable à mon âge. Seule Jamila ma petite sœur, chou à la crème, trouve chaque jour un nouvel argument pour me dégoûter de la vie de couple. A chaque fois que je lui dis que je sors rencontrer quelqu’un, elle saute de joie sans s’en apercevoir.
Vieille fille qui ne bosse pas, c’est le comble. Pourtant, j’ai une formation littéraire assez bonne. Je ne sais pas, je peux rédiger des idioties comme ça à longueur de journée, par exemple... ou taper sur une machine… ou préparer des cafés. Mon chômage ne m’aide pas. Je suis non seulement sans foyer mais également sans revenu. Je suis bonne à tout faire dans les maisons de mes parents, mes oncles et tantes et de mon frère. Jamila n’arrête pas de se révolter contre la tyrannie générale et contre mon exploitation, mais je ne parle pas. Je laisse ma mère et mes tantes sortir des arguments genre : « laisse-la tranquille, on fait tout pour l’occuper la pauvre » ou encore « quand elle aura son propre foyer, on lui rendra tout ce qu’elle fait pour nous »… et je ne parle même pas, au grand désespoir de Jamila.
Mais faire la boniche me blesserait nettement moins si l’on ne me considérait pas comme une invalide, une attardée mentale qu’il faut suivre et réprimander comme une enfant en permanence. Je suis le souffre-douleur des parents qui se prennent la tête dans des chocs de titans et se rabattent sur le premier fruit d’une regrettable union. Quand ils se réconcilient, ils se retrouvent dans leur chambre les vieux parents, ignorant les séquelles sur mon psychique décimé.
Je suis la représentante de la sale progéniture, quand mon frère ou ma sœur contrarie les parents. Je suis une piètre consolation quand ils leurs manquent.
Je suis le générateur de bêtises qu’on doit absolument taire lors des discussions animées, quand je ne suis pas là, on m’appelle, on me pose des questions et m’invite à parler pour me casser. Quand je ne parle pas, on m’attribue des suppositions de réponses parfaitement idiotes et on se marre en ma présence.
Je suis le clown qui doit poursuivre les enfants partout pendant que leurs parents (même plus jeunes que moi) parlent de choses sérieuses : leurs vies, leurs boulots, leurs soucis… j’ai de l’arthrose à 40 ans, j’ai un ongle incarné qui me fout un mal de chien à chaque fois que je marche, mais pas le courage de demander à qui que ce soit de me l’opérer. Courir après les enfants fait partie des corvées monumentales de la semaine. Je dors toujours plus tôt que la normale.
Je suis l’agenda électronique qui doit se rappeler de tout mais qui ne fonctionne même pas bien.
Je suis la honte à cacher quand des amies de ma mère viennent faire les ragots. Ça va certainement parler de mariage et de vieilles-filles.
Quand je leur dirai que je partirai, ils vont crier au scandale, à l’ingratitude, à la honte ! Une « fille » ne vit seule que parce qu’elle veut batifoler… quand ils ont pas cette idée tordue, ils pensent d’elle qu’elle est fille indigne qui lâche ses vieux parents après tout ce qu’ils ont fait pour elle. Ils feront tout pour étrangler l’idée dans son berceau, ignorant qu’elle a déjà pris des dimensions adultes. Je ne peux pas le leur annoncer avant d’avoir trouvé où me nicher.
Je ne veux pas leur expliquer que ça me mine l’existence d’entendre mes parents batifoler le soir à leurs sursauts de libido et me sentir coupable d’être là comme une mineure après l’âge. Je ne veux pas leur dire que ça m’embête de ressentir l’envie de me faire étreindre par quelqu’un dans la solitude de ma nuit. Je ne veux pas leur dire que j’en ai assez des pornos muets et d’étouffer mes gémissements quand je me touche dans la chambre jouxtant la leur. Pauvre de moi qui n’aie connu de modèle que l’extra-large de Rocco.
Aucun homme célibataire ne ressentirait cette gêne en vivant avec sa famille, car en plus d’avoir le service digne d’un hôtel 5*, tout le monde s’en écarterait logiquement pour qu’il puisse se sentir à l’aise, personne ne programmerait son existence en fonction de sa présence et ses services, parce qu’un homme, un vrai, a des occupations, des intérêts et des tâches importantes, y compris celle de sortir à la chasse avec ses potes autour d’une bière.
Je trouverai l’argent pour me louer 8m³ quelque part. Et je m’en irai.
Je parle au futur, pour garder vivant cet espoir, en ultime porte de sortie possible. Le conditionnel me déprimerait davantage.
Un jour, je m’en irai.

16 commentaires:

Big Brother Maroc a dit…

Bienvenue dans la Blogoma :)

Un conseil d'ami : Fais en sorte de sauter des lignes pour donner des repères visuels et faciliter la lecture.

Tout est question d'ergonomie ! Et bon courage.

Marocanication a dit…

Merci beaucoup d'être passé ici! tu es mon premier visiteur, c'est émouvant!

Anonyme a dit…

Je suis touché par ta sincérité. Si çà peut te consoler il y a aussi de "vieux garçons" qui continuent à vivre avec leurs parents et crois moi la vie ne leur réserve pas que du luxe. Les "sortie de chasse" ou les virées entre potes sont les derniers de leurs soucis. Je te souhaite bon courage dans ta quete d'indépendance. Comment devrais je t'appeler d'ailleurs?
Bienvenue sur la blogoma et si j'avais quelque chose à te souhaiter (je ne me permettrais pas l’offense pas de te donner le moindre conseil) ne change rien à ce que tu es, écris comme tu le sens et reste toi meme. Les lecteurs savent reconnaitre la sincérité et s'en délectent.

Marocanication a dit…

Ce qui me touche moi c'est ce commentaire. Je me sens coupable de provoquer la sympathie générale.
C'est pourtant la vie de plein de femmes, qui vivent esclaves de leurs familles, déclarées second rôle sur leur propre scène.
Je peux imaginer que certains hommes souffrent aussi de solitude et je compatis en connaissance de cause. Sauf qu'une femme en souffre toujours plus. Même quand elle travaille (ce qui n'est pas mon cas) elle n'a pas le droit de disposer de sa vie avant de se lier à celle d'un homme :)
Je m'appelle Samira et j'ai été ravie de lire ton commentaire.

Hisham a dit…

Je comprends parfaitement que çà puisse etre vecue plus douloureusement quand on est une femme. Mais a qui reproches tu cet etat de fait: La societé? La religion? La tradition? Le gouvernement? L'economie en ruine et le manque de solidarité?
Je suis très curieux de savoir.
Mon nom est Hisham (le meme Hisham_G de Twitter au cas ou tu ne le saurais pas dejà)

Marocanication a dit…

Bonjour Hisham. Je ne reproche rien à personne car je sais que le reproche est le meilleur moyen de fâcher.
Je pense qu'on est tous pris dans un engrenage vicieux qui s'alimente et se perpétue. Notre éducation présente maintes défaillances, mais la remettre en question est très délicat car l'amalgame avec ce qui est religieux et moral est inéluctable.
Je pense que le manque de culture est une tare grave dans le sens où ça pousse la personne à s'assoir sur des certitudes souvent erronées et à s'y attacher sans possibilité de remise en question; cela constitue également une sorte de brouillard naturel qui fait qu'on se mélange les cartes.
A titre d'exemple, un père (ou une mère) te sort le carton de "redate lwaldine" à chaque fois qu'il heurte le mur d'incompréhension qui lui siège sa mentalité, faisant ainsi l'amalgame entre ce qui est religieux et ce qui relève de la légitimité du libre arbitre. Sachant que la foi elle même est une question de libre arbitre.. mais ça c'est une autre question.
dans mon cas, toute révolte aussi légitime soit-elle, serait considérée comme ingratitude. Je pense que le manque de culture des parents fait qu'ils pensent vraiment que lorsqu'on a fait des enfants, ils nous appartiennent. Qu'ils n'ont pas de vie en dehors du cercle qu'on leur trace.
Mais c'est toujours trop compliqué à expliquer :)

Hisham a dit…

J'apprécie ton approche conciliatrice et il est beaucoup plus facile pour quelqu'un qui regarde de loin comme moi de dicter ses suggestions. Je n'ai évidemment pas de réponses mais j'ai longtemps reprocher à la religion (ou du moins à la lecture qu'on en fait) d'etre à l'origine de l'essentiel des difficultés sociales que nous pouvons vivre. J'avoue qu'avec le temps j'ai nuancer cette vision franchement simpliste.
Il me semble que tout revient à l'économie et donc à la politique ou à la façon avec laquelle nous decidons de partager le gateau (si tant est qu'on nous demande notre avis). Je ne peux pas comprendre que quelqu'un qui n'a que le merite d'être né sous le nom qu'il faut puisse avoir pouvoirs et privilèges alors que quelqu'un aussi intelligent et eloquent que toi ne puisse pas trouver du boulot. Il n'y a pas de raison pour que tu ne puisses pas avoir d'indépendance financière. Ta situation me rappelle que le combat pour la démocratie n'est pas trivial après tout.

Assia a dit…

Je viens de découvrir ton blog et je l'adore déjà, ça me montre toute une vision différente, ça me pousse à reconsidérer des trucs que j'avais fixer il y a bien longtemps.

En commençant à lire tes articles, j'ai pas pensé que tu seras en chômage car tu as l'air d'une fille bien intelligente. Donc laisse pas les commérages et les avis des autres t'affecter. Tu as 40ans maintenant, et tu as déjà rater beaucoup de choses, mais en rate pas d'autres et vis ta vie comme ça te semble et non pas la programmer de façon à ce que les autres en soit satisfait. Les seuls être à satisfaire ce sont tes parents, et en leurs expliquant les choses, je suis qu'ils te comprendront, après tout, ils ne cherchent qu'à te voir heureuse.
Et comme je l'ai dit précédemment, tu es une fille intelligente alors trouves toi d'autres trucs à faire pour préoccuper ton temps et là, je parle pas de faire ce que les autres sont supposés faire ;)
T'as bien dit que tu suis une formation, alors finissons en vite et trouve toi un travail et des activités qui te conviennent.
Je te souhaite le meilleure

Marocanication a dit…

Hisham: à ma connaissance, la religion ne fait pas de différence entre les sexes ou les races. C'est la société qui ne tolère aucun remous dans son cours paisible. je parle d'inculture, car les gens ont plus de considération pour la meute que pour la personne, tant la personne n'arrive pas à se définir en dehors du cercle et de son statut dedans. On serait plus cultivés, on n'aurait pas de mal à concevoir la différence de l'autre comme une richesse, on aurait pas peur de la révolte de certains, car d'aucuns auraient changé le monde grâce à ça.On aurait pas peur de la femme, car au pire elle serait un "mec nul" :)
quant aux privilégiés, je pense qu'ils ont existé partout et toujours, ça n'a pas empêché les gens de se serrer les coudes et de se regarder les uns les autres. maintenant tout le monde regardent plus haut. L'ambition est salutaire mais elle nous fait perdre des choses au moins tout aussi importantes.
Pour ma part, je pense que j'ai besoin de travailler sur moi même, sur ma phobie des entretiens et mon défaitisme farouche comme dirait Naim. et ça, c'est tout un billet :)

Marocanication a dit…

Assia: heureuse pour toi que tu ais pu fixer.. vivement mon tour :)
C'est gentil de penser de moi que je suis intelligente. je ne le suis pas plus que d'autres, c'est juste que je m'exprime mieux à l'écrit peut être. Il faut dire qu'en vrai, je peux rester silencieuse des heures sans que l'envie d'en placer une me prenne. ma formation littéraire, je l'ai eue il y a des années et elle ne me sert pas à grand chose, à part ce blog apparemment :)
Je sais que je suis passée à côté de ma vie :)
mais comment pourrais-je reprendre des rennes que je n'ai jamais eues? comment subtiliser un contrôle totalitaire des mains de mes géniteurs?
Dans notre famille, comme dans plusieurs d'autres, je n'ai de possibilité de me libérer de cette vie par procuration qu'en me mariant. Tu vas peut-être rire mais j'ai pensé à un mariage blanc, ici au Maroc, juste pour m'en aller :)

Hisham a dit…

L'occasion de travail qui aurait pu te sortir de ta dépendance financière Samira a peut etre été donnée à quelqu'un de moins méritant. Des millions de Dirhams sont dilapidées chaque jour dans les futilités protocolaires alors qu'ils auraient pu servir à créer des emplois.

Je me suis permis de citer ton excellent billet dans mon article pour Global Voices Online:

http://globalvoicesonline.org/2010/07/13/morocco-still-living-in-my-parents-house-says-a-40-year-old-girl/

Qui sait, peut être que çà te fera decouvrir des experiences similaires dans le monde.

Marocanication a dit…

ça me touche énormément Hisham, vraiment. Je me retrouve en ce moment même dans état d'âme similaire que celui qui m'a dicté ce post.
ça me touche vraiment.

Hisham a dit…

Tout le merite te revient voyons!

Anonyme a dit…

J'ai découvert ton blog par hasard...

Ce billet me ramène des années en arrière. Je suis bien plus jeune que toi mais mes parents sont vieux jeu. Quand j'ai divorcé, tu aurais vu ma mère pleine d'espoir: "Tu reviens vivre à la maison?"; "Non" ("Ca jamais,j'ai eu assez de mal à partir!"ai-je pensé).
Fais ta vie pour toi, ils t'aiment, ils comprendront quand ils te verront heureuse et épanouie! Je crois que c'est dur pour tous les parents de voir ses enfants partir car c'est se voir vieillir...

C'est sûr qu'il y a l'aspect financier et le regard des autres, mais j'ai appris à m'en détacher, je me "fous" de ce que les gens pensent; je suis bien plus heureuse comme ça!

Ne lâche pas...

Marocanication a dit…

chère anonyme,
je ne doute pas que tu comprennes ma situation. On a presque tous eu un même schéma d'éducation. Mais peut être qu'il y en a qui ont subi plus que d'autres ce qu'on appelle le chantage affectif ou bien le processus de culpabilisation inhérent à notre façon de faire.
Des fois je me demande si les autres (ma famille) ressentent quelque culpabilité vis à vis de moi, de ma solitude de mon assujettissement. j'ai longtemps attendu qu'ils comprennent d'eux même que je souffre de ne vivre que pour eux alors qu'ils ne vivent que pour eux même. Mais j'ai l'impression qu'ils ne s'en rendent pas compte et c'est ce qui est à la fois le plus dur et le plus culpabilisant. Je finis par me dire: s'ils savaient que tu souffrais, ils ne te feraient pas souffrir davantage mais ils ne savent pas les pauvres.
Comme tu dis, les finances n'aidant pas, il m'est difficile d'affronter qui que ce soit. Pour le moment, je suis là à laisser grandir en moi cette envie d'y échapper.
Ce blog m'apporte beaucoup: la compassion des gens certes mais aussi des idées et des expériences similaires qui me font prendre conscience que la fin est toujours à écrire.
bien évidemment, d'autres personnes (comme ce jeune journaliste hier qui me disait sur un ton réprobateur: ne sois pas égoïste!) luttent pour que je me défasse de ces idées, sachant qu'ils n'y gagnent rien... sauf peut être de garder l'ordre établi ou peut être qu'ils ont des Samira dans leur vie :)
en tout cas mille mercis à tous :)

Raphaël Zacharie de IZARRA a dit…

LES VIEILLES FILLES

J'aime les vieilles filles. Et lorsqu'elles sont laides, c'est encore mieux.

Les vieilles filles laides, acariâtre, bigotes ont les charmes baroques et amers des bières irlandaises. Ces amantes sauvages sont des crabes difficiles à consommer : il faut savoir se frayer un chemin âpre et divin entre leurs pinces osseuses. Quand les vieilles filles sourient, elles grimacent. Quand elles prient, elles blasphèment. Quand elles aiment, elles maudissent. Leurs plaisirs sont une soupe vengeresse qui les maintient en vie. Elles raffolent de leur potage de fiel et d'épines. Tantôt glacé, tantôt brûlant, elles avalent d'un trait leur bol de passions fermentées. Les vieilles filles sont perverses. C'est leur jardin secret à elles, bien que nul n'ignore leurs vices.

Les vieilles filles sont des amantes recherchées : les esthètes savent apprécier ces sorcières d'alcôve. Comme des champignons vénéneux, elles anesthésient les coeurs, enchantent les pensées, remuent les âmes, troublent les sangs. Leur poison est un régal pour le sybarite.

L'hypocrisie, c'est leur vertu. La médisance leur tient lieu de bénédiction. La méchanceté est leur coquetterie. Le mensonge, c'est leur parole donnée. Elles ne rateraient pour rien au monde une messe, leur cher curé étant leur pire ennemi. Le Diable n'est jamais loin d'elles, qui prend les traits de leur jolie voisine de palier, du simple passant ou de l'authentique Vertu (celle qui les effraie tant). Elles épient le monde derrière leurs petits carreaux impeccablement lustrés. Elles adorent les enfants, se délectant à l'idée d'étouffer leurs rires. Mais surtout, elles ne résistent pas à leur péché mignon : faire la conversation avec les belles femmes. Vengeance subtile que de s'afficher en flatteuses compagnies tout en se sachant fielleuses, sèches, austères... C'est qu'elles portent le chignon comme une couronne : là éclate leur orgueil de frustrées.

Oui, j'aime les vieilles filles laides et méchantes. A l'opposé des belles femmes heureuses et épanouies, les vieilles filles laides et méchantes portent en elles des rêves désespérés, et leurs cauchemars ressemblent à des cris de chouette dans la nuit. Trésors dérisoires et magnifiques, à la mesure de leur infinie détresse. Contrairement aux femmes belles et heureuses, elles ont bien plus de raisons de m'aimer et de me haïr, de m'adorer et de me maudire, de lire et de relire ces mots en forme d'hommage, inlassablement, désespérément, infiniment.

Raphaël Zacharie de IZARRA